Emile ZOLA – Lettre autographe signée

Emile ZOLA (1840 – 1902),jeune écrivain publie le 2 mars 1867 son premier roman, « Les mystères de Marseille ». Il donne déjà les ingrédients qui feront sa légende dans la mise en scène des différentes couches sociales de l’époque, la dénonciation de l’injustice, les faits d’actualités

Description

Lettre autographe signée à son ami d’enfance Antony Valabrègue. Paris, 4 avril 1867 ; 4 pages in-8°.

Superbe lettre des débuts de Zola, écrivain militant, qui donne à voir dans cette lettre à son ami d’enfance Antony Valabrègue, toute sa rage de réussir, ses idéaux, ses convictions, son dur labeur : « Les lourdes besognes dont je suis accablé en ce moment ne doivent cependant pas me faire négliger tout à fait mes amis. Je vais tâcher de vous consacrer une heure de mon temps. Permettez-moi, avant tout, de vous dire que vous avez jugé un peu en provincial la publication des Mystères de Marseille. Si vous étiez ici, au milieu de nous, si je pouvais causer pendant dix minutes avec vous, vous comprendriez sur le champ la raison d’être de cette œuvre. J’obéis, vous le savez, à des nécessités et à des volontés. Il ne m’est pas permis, comme à vous, de m’endormir, de m’enfermer dans une tour d’ivoire, sous prétexte que la foule est sotte. J’ai besoin de la foule, je vais à elle comme je peux, je tente tous les moyens pour la dompter. En ce moment, j’ai surtout besoin de deux choses, de publicité et d’argent. Dites-vous cela, et vous comprendrez pourquoi j’ai accepté les offres du Messager de Provence. D’ailleurs, vous êtes dans tous les espoirs, dans toutes les croyances du commencement ; vous jugez les hommes et les œuvres absolument ; vous ne voyez pas encore que tout est relatif, et vous n’avez pas les tolérances de l’expérience. Je ne veux point jeter de la nuit dans votre beau ciel limpide. Je vous attends à vos débuts, à vos luttes ; alors seulement vous comprendrez bien ma conduite. Je vous dis ceci en ami. Il est bien entendu que je vous abandonne les Mystères de Marseille. Je sais ce que je fais. En ce moment, je mène de front trois romans : Les Mystères, une nouvelle pour l’Illustration, et une grande étude psychologique pour la Revue du XIXe siècle[Un mariage d’amour]. Je suis très satisfait de cette dernière œuvre. C’est, je crois, ce que j’ai fait de mieux jusqu’à présent. Je crains même que l’allure n’en soit trop carrée et que Houssaye ne recule au dernier instant. L’ouvrage paraitra en trois parties ; la première partie est terminée et doit paraitre au mois de mai. Vous voyez que je vais vite en besogne. Le mois dernier j’ai écrit cette première partie, un tiers du volume, et une centaine de pages des Mystères. Je reste courbé sur mon bureau du matin au soir. Cette année, je publierai quatre à cinq volumes. Donnez-moi des rentes, et je m’engage à aller tout de suite m’enfermer avec vous et me vautrer au soleil, dans l’herbe. J’ai dû, pour quelques temps, quitter le Figaro. Je n’y publiais plus que des articles volants, et, métier pour métier, je préfère écrire des histoires de longue haleine, qui restent. J’ai du également renoncer à l’idée de faire un salon. Il est possible que je lance quelques brochures sur mes amis les peintres. Voilà, ma foi, toutes les nouvelles qui me concernent. Je travaille beaucoup, soignant certaines œuvres et abandonnant les autres, tâchant de faire mon trou à grands coups de pioche. Vous saurez un jour qu’il est malaisé de creuser un pareil trou. Je ne vous parle plus de votre retour à Paris. Je vois bien que vous le remettez à une époque lointaine, indéterminée. Je finirai par vous approuver ; puisque vous voilà redevenu poète, il est préférable que vous restiez dans les solitudes mortes de la province. Seulement, entrez dans la carrière littéraire par une voie si différente de celle que j’ai prise, qu’il m’est difficile de ne pas faire quelques restrictions. Ma position m’a imposé la lutte, de sorte que la lutte, le travail militant est pour moi le grand moyen, le seul que je puisse conseiller. Votre fortune, vos instincts vous font des loisirs ; vous vous attardez de gaieté de cœur. Toutes les routes sont bonnes. Suivez la votre, et je serai le premier à applaudir, lorsque vous obtiendrez un résultat. Ce que je vous ai dit, ce que je vous dirai sans doute encore, ne m’est dicté que par la sympathie. Vous n’en doutez point, n’est-ce-pas ? Quelques petites nouvelles pour finir : Paul [Cézanne] est refusé, Guillemet [Jean-Baptiste Antoine Guillemet peintre de paysagiste de l’école de Barbizon] est refusé, tous sont refusés ; le jury, irrité de mon salon, à mis à la porte tous ceux qui marchait dans la nouvelle voie. Baille entre en plein dans de beaux appointements. Solure est toujours marié. Voilà. Ecrivez-moi souvent. Vos lettres me font grand plaisir. Parlez-moi, à l’occasion, de l’impression que les Mystères font à Aix… »

Antony Valabrègue (1844-1900), ami d’enfance et condisciple d’Emile Zola et Paul Cézanne qui fit son portrait, à Aix-en-Provence. Il deviendra poète et critique d’art

Zola publie le 2 mars 1867 son premier roman, « Les mystères de Marseille », sous forme de feuilletons dans le Messager de Provence, avant de paraitre en 1867 chez A. Arnaud à Marseille. Il exécute cette commande en parallèle de la rédaction de Thérèse Raquin. Avec ce premier roman, le jeune écrivain donne déjà les ingrédients qui feront sa légende dans la mise en scène des différentes couches sociales de l’époque, la dénonciation de l’injustice, les faits d’actualités comme ici la révolution de 1848 et l’épidémie de choléra qui sévissait en Provence.