Description
Manuscrit autographe intitulé « Alerte ». S.l.n.d. (Début juillet 1914) ; 5 pages ½ in-4°.
Article avec de nombreuses ratures, annotations, rajouts en vue d’être publié dans le quotidien de Clemenceau, « l’Homme libre », début juillet 1914.
Article historique de Clemenceau donnant une fine analyse de la complexité des enjeux politiques entre les différents protagonistes dans la poudrière des Balkans, suite à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche par un nationaliste serbe, le 28 juin 1914, qui déclencha l’ultimatum de l’empire Austro-Hongrois à la Serbie. Un mois plus tard, l’Europe s’embrasait pour quatre années d’un conflit entre les empires qui s’étendit à d’autres pays avec près de dix millions de morts et disparus et vingt et un millions de blessés et de mutilés :
« L’ultimatum que l’Autriche vient d’envoyer à la Serbie en lui demandant de tout faire pour évacuer le territoire Albanais ( ?) est un de ces coups des Autrichien qui pour être dans la logique de la situation, n’est souvent pas moins, comme on l’a très bien dit un ahurissement général. L’acte est dans la logique de la situation parce que l’Europe a pris l’habitude depuis l’offensive de la Bosnie-Herzégovine, de laisser l’Autriche conduire le jeu de la diplomatie dans les Balkans sous la menace perpétuelle de la guerre, constitution d’une Albanie incohérente sans une…de nationalité, l’Adriatique fournie aux Serbes, intervention de force à soutenir les hommes d’Etat antichars, qui ne sait peut être pas de la plus haute envergure, serviront les élèves de M. d’Arenthal parce qu’ils sont prêts à répéter indifféremment le coup d’audace qui lui réussit en Bosnie parce que la Russie ne reconsidérait pas (et ne reconsidère pas davantage aujourd’hui) en état suffisant de préparation pour la guerre. Mais ils n’ont peut être pas calculé que l’état d’esprit du gouvernement et du peuple est un facteur capital de paix et de guerre avec lequel il faut aussi compter (…). C’est ce qui fait que la surprise de violence dont l’Autriche semble se rendre coupable – sans aucune excuse, pourrait avoir, même aujourd’hui même, du moins à assez bref délai, des conséquences graves sur les parties directement en cause – de même pour les autres. Les faits sont bien connus. Nulle équivoque n’est possible. L’Autriche, d’accord avec l’Italie, a forcé la main à l’Europe pour l’éviction d’un état Albanais qui ne peut être qu’un foyer permanent de conflits, elle a d’autorité amené les Puissances de la Triple entente, malgré leur intérêt manifeste et au mépris de toute justice (…) à interdire l’accès de l’Adriatique à la Serbie, à entreprendre d’Albaniser manu militari les Grecs de l’épine dont le patriotisme ardent a fait ses preuves – ce qui peut nous faire craindre le plus redoutable conflit au printemps. Qui donc se chargera d’elle amputer les Grecs de l’empire ? Et si quelqu’un s’en charge, comment cette privation se pourra t-elle faire sans déchainer des prêchi ou prêcha – par la seule action de contact- une série de conflagrations inévitables ? Encore n’ai-je rien dit des îles de mer Egée. Tant bien que mal, chacun a tâché de s’accommoder à la violence autrichienne. Le Montenegro a évacué Scutari. Les serbes se sont retirés de l’Adriatique, avec quels sentiments au cœur. Ils ont même cherché, par un haut effort de diplomatie, à se rapprocher de l’Autriche en arguant même des sacrifices qu’ils avaient dû consentir pour obtenir de Vienne un régime économique acceptable pour les deux parties. N’est ce pas M. Pachitch qui vouait, l’autre jour, d’une sortie au comte de Rothchild avec des paroles de confiance, hautement publiques, dans les graves dispositions de l’Autriche à l’égard de la Serbie, et c’est à quelques jours que ce même comte Rothchild adresse à ce même Pachitch un brutal ultimatum qui ne peut avoir d’autre but que d’humilier une fois de plus la Serbie, et d’autre résultat que de jeter audacieusement le gant à la cohérence européenne de Londres. Ce qui motive ce défi, inattendu pour la diplomatie de la Triple entente, c’est une soudaine irruption des hardes albanaises sur les tentatives serbes (…). Toutes les autopsies des peuples incivilisés. Des villages, des villes serbes sont ainsi tombées au pouvoir des Albanais, invoquant pour les plus abominables violations du droit des gens, le droit de la guerre en temps de paix [phrases raturées] d’une provocation de la part des Serbes. L’accusation est contredite par les faits puisqu’il leur a fallu plus d’une semaine par une élucubration partielle qui leur permit de reprendre possession de leur frappe. C’est là que leur crime commence aux yeux de l’Autriche, l’armée serbe refoulant l’agresseur (…) à la ligne précise que personne ne connait puis que la commission (…) délimitant la frontière de l’Albanie. Avec une parfaite loyauté les Serbes avaient pris la peine d’avertir le cabinet de Vienne qu’ils avaient obligés de garder certaines parties stratégiques jusqu’à l’exécution des décisions de Londres leur eut fourni des garanties pour la sécurité de leurs frontières. Le vulgaire bon sens exigeait qu’il en fût ainsi. On ne peut vraiment pas demander aux Serbes d’entretenir une armée sur le pied de guerre pour être toujours en mesure de refouler les Albanais à qui l’Europe est hors d’état d’imposer le respect des frontières qu’elle leur a données, et que l’Autriche couve de leurs brigandages. Cet étonnant pays n’a pas moins de deux gouvernements qui sont, bien entendu, en conflit permanent l’un vers l’autre. A Valona [ville de l’actuelle Albanie] (pays d’influence italienne (…)) l’Autriche a fabriqué de toutes pièces un gouvernement auquel personne n’obéit, tandis qu’Essad Pacha [officier de l’armée ottomane il devient dictateur de l’Albanie en octobre 1914] avec ses troupes est au moins maître du terrain qu’il occupe et ce qui n’empêche pas chaque clan albanais de n’en faire qu’à sa volonté. Faites brocher par cette anarchie la vivacité italienne qu’aboutit, sans couleur de religion ou de clientèle étrangère a susciter, à aggraver les inimitiés traditionnelles (…) quelle organisation de paix peut sortir de tout cela. Au moment même où l’Autriche conteste à la Serbie le droit de se défendre contre les agressions albanaises, le gouvernement Monténégro découvre à Antivari [ville du Montenegro], à bord d’un vapeur autrichien quatre cents caisses de cartouches à destination de Valona, escortées de deux sous officiers autrichiens. Tout commentaire est superflu. Maintenant, que va-t-il advenir de l’ultimatum à la Serbie ? Tout ce monde, va lui conseiller de céder et elle s’y résoudra, de bonne ou de mauvaise grâce, fatalement, comme le moment de recul qu’on lui demande est impossible à déterminer puisqu’il n’ y a pas de frontières tracées, il faudra qu’elle s’en rapporte à l’arbitraire de Vienne. Cela dépasse vraiment la mesure ordinaire des humiliations qu’ils peuvent accepter. D’autant que les agressions albanaises se trouvent aussi officiellement encouragées par le puissant état qui leur fournit des armes et des munitions à cet effet. Et ne font jamais exagérer les organismes même en diplomatie. Mais je n’ai rien dit de l’Europe qui se trouve unie par le Corum Mercato est dans une situation si fausse et si parfaitement ridicule que je me demande comment la conférence de Londres pourra de nouveau se réunir. Jusqu’à ce jour le cabinet de Vienne, escomptant l’universel devoir de paix à tout prix, avait obtenu de la conférence de Londres qu’elle servit ses desseins et se fit l’exécutrice de ses retardés. C’est au nom de l’Europe que la Serbie fut invitée à reculer de l’Adriatique. C’est « l’Europe », qui se trouve substituées au Montenegro à Soutari [empire Ottomann]. Aujourd’hui c’est l’Autriche, n’ayant reçu de précision que d’elle-même, partant d’imposer l’exécution des décisions des puissances et mettre de sa seule initiative, toute l’Europe en présence d’un casus belli. Je ne peux pas douter que la Serbie ne cède. Mais quelle visé la situation des puissances au regard l’une de l’autre après ce coup d’état international ? Il n’y avait que de l’Europe, au sens d’accord précaire que l’on pouvait donner à ce mot. Il n’y en a plus du tout, puisqu’on ne prend plus la peine de sauver même les apparences. Comment les diplomates réunis sous la présidence de Sir Edmond Gray pouvaient ils maintenant s’aborder sérieusement pour discuter d’une entente quand ils ne peuvent plus feindre d’ignorer que l’Autriche et avec elle l’Allemagne et l’Italie (qui tout en restant dans la coalition, gardent leur « bienveillance » à l’Albanie) font ouvertement à leur guise sans faire aux autres puissances l’honneur, même apparente, de les consulter. Une notification après coup, (…)à titre de tardive courtoisie, est tout ce que l’Europe a pu obtenir du cabinet austro-hongrois. Les sentiments de Londres, de Pétesbourg de même de Paris, toujours en remorque, ne sont pas difficiles à comprendre. Sir Edmond Grey n’admettra pas de bonne grâce un pareil mépris des convenances diplomatiques accompagnant une brutale rupture de l’accord où l’honneur de chaque puissance se trouve congédié. Le gouvernement a choisi cette heure pour se disperser. Son opinion n’est pas d’intervenir. (…) L’intérêt et le devoir de la France la rangent nécessairement aux dernières chances d’un rapprochement austro-russe (…). Coté de ses alliés de ses amis, si l’on songe d’autre part que les intérêts de la Grèce dans cette affaire sont encore plus gravement engagés que ceux de la Serbie puisque l’alliance austro-italienne la menace à la fois dans l’espoir et dans la mer Egée. On pense bien que l’alliance turco-bulgare ne demande qu’à se donner sous l’égide de l’Allemagne contre les nationalités émigrées. La Roumanie, qui a vaincu sans bataille, va se trouver prise entre les traditions de sa politique autrichienne et sa récente entente avec la Grèce et la Serbie. Voilà sur quelles dispositions des gouvernements et des peuples se fondent la paix d’aujourd’hui. La Serbie a fait une réponse diplomatique très sage où tout est maintenant discutable se montre prête à converser. Pendant ce temps, toutes les démobilisations commencées s’invitent pour des préparatifs de pré mobilisation. Seul le gouvernement nationaliste de la France a pour occupation de démobiliser. Il nous a déclaré que deux closes restrictives étaient nécessaires pour notre défense, et aussitôt dit, quand ces deux casus sur les dirigeants, il renvoie celle dont l’instruction est achevée pour la remplacer par deux casus non instruites qu’il faudrait envoyer à l’arrière en cas de mobilisation, ce qui causerait un désordre indescriptible. La frontière française est toujours ainsi ouverte de novembre à avril. Tous nos officiers sans aucune exception (…). »