Description
L.AS. « ton Gui », 7 juin 1915, à Louise de Coligny-Châtillon, « Lou » ; 4 pages in-8.
Lettre à Lou, écrite du Front.
Lettre écrite du front en Champagne, où se mêle des nouvelles sur son quotidien, à attendre l’ennemi dans les tranchés, les rumeurs courant sur la chute du ministère Viviani et son besoin cruel d’amour, qui s’enlise malheureusement dans un amour finissant : « Ma petite fille chérie, Je ne sais guère que t’écrire aujourd’hui sinon mon amour. Lever à 4 heures pour la revue, remise de citations à l’ordre, c’est du moins comme cela je croix que ça s’appelle. Puis le bruit court de la chute du ministère, Joffre deviendrait ministre de la guerre, Galliéni généralissime, et Caillaux président du conseil, et bien, bien que ce dernier ait été il y a un mois encore l’homme le plus mal vu de France, j’ai entendu les types les plus intelligents même officiers dire : « Vive Caillaux ! Il nous amènera la paix. Je n’en voulais pas croire mes oreilles, mais aussi : « Caillaux, c’est la paix, retentit encore à mes oreilles aussi bien dans les puits du génie où j’ai été ce matin à 6 mètres des roches, que dans les cantonnements d’artillerie où je suis cet après midi. Cependant, je suis sur que la question Caillaux à part, Galliéni serait d’un réconfort épatant et la marche en avant. – Nous sommes tous habillés de neuf, et bien habillés car les tailleurs de régiment en ont mis. Et c’est le moment de marcher, on ne demande que ça dusse-t-on être tués. Galliéni inspire ici une confiance inébranlable, et moi qui en ai entendu parler je suis un peu de cet avis. Joffre c’est très bien, temporisons mais, on attend, mais non d’une pipe ce n’est pas de la tactique, ou plutôt c’est peut-être de la tactique mais ce n’est pas de la stratégie…C’est très bien de faire des trous et de se cacher dedans mais ce qu’il faut c’est avancer. Voilà mon petit rat – Je ne sais si tout est comme ça mais j’en ai avalé des couleuvres et des rats ». La lettre devient érotique : « J’ai envie de baiser toi ou une autre fût-elle Boche, mais pas de femme du front, nom de d’là, à cause de la vérole – Enfin on espère de grands évènements. Je t’envoie un croquis d’une partie d’un cimetière près d’ici. Tu ne sais pas où c’est, mais c’est tant pis pour mon p’tit Lou c’est pas vrai, que je sois jaloux comme tu dis. – Mais naturellement je préfère moi seul et puis je n’ai pas le droit de parler de ça. Mais si je le savais, ce que je ne veux pas dire, en réalité je t’aimerais peut-être toujours mais ne serais plus ami avec toi – Voilà, mon ptit Lou, un peu affolé et qui va partir – Je ne t’écris pas plus long parce que tu ne m’écris pas long non plus et que cela me dégoûte un peu d’écrire à quelqu’un qui jamais ne m’écrit de longues lettres quoique cependant je t’adore et t’embrasse très très cochonnement Ton Gui »
Références : Correspondance générale, Édition de V. Martin-Schmets, Champion, II, n° 971, p. 489-490. — L. Campa, Guillaume Apollinaire, Gallimard, p. 543-572.
Le 27 septembre 1914, Guillaume Apollinaire fait la connaissance de Louise de Coligny-Chatillon dans un restaurant à Nice. C’est le coup de foudre. Il lui écrit le lendemain de leur rencontre : « Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir, j’éprouve maintenant moins de gêne à vous l’écrire (…) ». A cette époque, la jeune femme de 33 ans, divorcée, est très indépendante, ce qui fascine le poète. Il la surnomme Lou. Malheureusement c’est un amour contrarié, elle s’engage puis se retire ne lui dissimulant pas son attachement pour un autre homme. A bout, Apollinaire part faire ses classes à Nîmes. Elle le rejoint pendant une semaine. De cet amour passionnel naisse des poèmes parmi les plus beaux de la langue française. Dès 1915, il lui demande de conserver les poèmes qu’il lui envoie, dans le but d’une éventuelle publication. Apollinaire intègre le 38e régiment de Champagne le 4 avril 1915. La veille, elle a mis un point à leur relation amoureuse mais lui promet de rester amis. Sur le front, Apollinaire espère encore la reconquérir lui écrivant des centaines de lettres plus passionnées et érotiques les unes que les autres, mais ces lettres s’espacent et se raccourcissent peu à peu, jusqu’au 16 janvier 1916, date de la dernière lettre. Ils se rencontrent encore une fois, fortuitement, place de l’Opéra à Paris. Apollinaire meurt le 9 novembre 1918, à l’âge de 38 ans, de la grippe espagnole. Cette prodigieuse correspondance totalise 220 lettres et 76 poèmes. Certains de ces poèmes seront par la suite repris et remaniés dans le recueil Calligrammes. Poèmes à Lou, d’abord intitulé Ombre de mon amour, est un recueil de poèmes posthume