Jean-Jacques ROUSSEAU – Lettre autographe signée

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712 – 1778), philosophe et écrivain genevois, n’entama pas sous les meilleures hospices sa rencontre avec Madame Dupin. Femme brillante et d’une grande beauté, il en tomba sous le charme et entreprit de lui faire une cour assidue. Celle-ci ne l’entendit pas de cette oreille.

Description

Lettre autographe signée à Madame Dupin. 9 avril 1743 ; 2 pages in-4°. Nom du destinataire autographe en en-tête.

Très belle lettre d’excuse, emprunte d’humilité, adressée à son hôtesse Madame Dupin, après une maladresse du philosophe qui s’était permis, dans les premiers mois de leur rencontre, alors qu’elle était mariée, de lui déclarer son amour pendant sa leçon de clavecin. Choquée, Madame Dupin se leva et lui dit : « Chantez-moi cela », puis sortit en lui fermant la porte au nez. Rousseau, confus, se crut perdu et lui écrivit cette lettre magnifique pour se faire pardonner. Cet épisode est relaté dans les Confessions, livre VI : « Madame, J’aperçois avec la plus vive douleur, que j’ai mérité votre disgrâce. J’en sens les effets même en éprouvant votre bonté, et je vois à n’en pouvoir douter qu’il ni a qu’un sentiment de générosité de vôtre part, qui m’ait pu garantir du traitement qui m’était du ; Votre indulgence Madame m’a fait rentrer en moi-même, autant que vôtre mépris m’a touché, et j’ose aujourd’hui vous demander grâce, non pas avec l’assurance d’un homme qui cesse d’être coupable, mais avec tout le regret d’un homme qui se repent de l’avoir été. Dans l’état ou je me vois réduit je croyais n’avoir plus rien à risquer. Mais Madame je connais aujourd’hui qu’on ne peut se dire vraiment malheureux qu’après avoir perdu vos bontés et vôtre estime, il ni a point d’effort dont je ne sois capable pour en obtenir le retour. Un motif aussi pur doit autoriser mon role, et mes prières ; si vous daignez vous y rendre, vous aurez la satisfaction d’avoir sauvé du désespoir le plus infortuné de tous les hommes, et vous éprouverez désormais pat mon respect et par ma conduite, que les cœurs susceptibles d’honneur et de reconnaissance savent convertir jusqu’à leur égarement mêmes au profit de leur devoir. Je vous suplie aussi, Madame, de pardonner la liberté que j’ai prise de vous écrire cette lettre en vous adressant un mémoire que vous m’avez fait l’honneur de me demander ; Je me répons assez du motif qui l’a dicté, pour n’en craindre aucune nouvelle disgrâce. Daignez Madame, pour toute réponse me rendre les sentiments favorables dont vous m’aviez ci devant honoré, vôtre bonté les doit à mes malheurs, et vôtre équité à mon repentir. J’ai l’honneur d’être avec un profond respect Madame votre très humble et très obéissant serviteur… »

Louise Dupin, née Louise de Fontaine, voit le jour le 28 octobre 1706 à Paris. Son père naturel, Samuel Bernard, conte et financier, la marie à Claude Dupin, qui par son mariage, bénéficie de la charge de receveur général des finances et de la générosité de son beau-père. Le couple fait fortune et acquièrent des résidences. Femme de lettres, d’une brillante intelligence et d’une grande beauté, elle tient d’une main de maître des salons littéraires dans ses demeures, fréquentés par les écrivains, philosophes et aristocrate du moment. Voltaire la surnomme « la déesse de la beauté et de la musique ». Rousseau débarque à Paris à l’automne 1741 et rencontre Louise Dupin en mars 1743, au prétexte de lui présenter une comédie. Cette première rencontre trouble profondément le philosophe qui nourrit alors une passion dévorante pour son hôte. Il lui écrit une lettre enflammée qu’elle considère avec mépris. Cela ne calme pas pour autant ses ardeurs, comme l’indique notre lettre. Il faut alors l’intervention de Dupin de Francueil pour y mettre un terme. Cette cour assidue n’entame pas pour autant la sympathie de Madame Dupin à son égard. Elle l’engage comme précepteur de son fils, Jacques-Armand, puis comme secrétaire du couple de 1745 à 1751. Elle s’investit, avec l’aide de Rousseau, pour le droit des femmes. Ses idées son novatrices pour l’époque. Elle revendique le droit à l’égalité, le droit au savoir et à la liberté conjugale, s’en prenant au sacrement du mariage et pour le mariage des prêtres.