Description
Lettre autographe signée « Victor » à son ami Emile Mignard ; Toulon 11 avril 1902. 4 pages in-8°. Trace d’onglet en marge de la seconde page n’affectant pas le texte.
Rare lettre écrite quelque mois seulement avant son affectation en Polynésie, en tant que médecin de la marine de deuxième classe sur l’aviso La Durance. Il embarque le 23 janvier 1903 pour Tahiti et delà, rejoint les Marquises trois mois seulement après le décès de Paul Gauguin, survenu le 8 mai, dont il achètera des bois sculptés, la palette, et ses derniers croquis, qui sans lui, auraient étés perdus à tout jamais : « Mon cher petit, Toulon me semble depuis deux jours horriblement morose. Par comparaison sans doute avec le séjour à Bordeaux, comparable, grâce à toi surtout, aux meilleurs moments d’antan – mais aussi en lui-même. Il pleut, il pleut ! Accueil charmant du directeur qui me conseille de « ne pas me fatiguer ces jours-ci ». D’ailleurs, l’ami d’Auber resté en panne à Marmande n’a pas encore reparu. Je t’ai excusé tant bien que mal chez Georges, lequel exultait de mon long silence. Le malheureux était cette semaine de garde. Sitôt la canonnière de délivrance accostée, il a bondi sur le quai et disparu. Depuis, il fornique. Je dîne ce soir chez lui. Et le va-et-vient monotone a repris. Richard, un peu secoué de son histoire, attendait des compléments. J’aurais voulu les lui donner plus nets, jusqu’à la gifle, inclus, car nous sommes passibles d’une gifle, ne l’oublie pas. Ce bœuf rissolé de Demelle a-t-il reparu ? Et la série commence : amitiés très grandes à Clélie. Dis-lui que plus que jamais son salon me parut avenant, capitonné et ami. Simulacres habituels de pelotage désintéressé au duo assoiffé de caresses Marthe, Madeleine. Réexplique une dernière fois le « Tuba » à Maman Bassié. Mais surtout affirme mon souvenir un peu plus sérieux aux nouvelles venues et mes regrets à la personnelle petite violoniste de n’avoir profité plus tôt de son talent réel. Pour une fois, j’ai écouté un morceau de violon. Je transcris pour elle le « Ô coupe de cristal ». Madame Fisher [elle est interprète à Bordeaux des chansons de Segalen] recevra sans tarder la « Chanson Violette ». – Amitiés à cet excellent Piouffle. Je l’aime beaucoup et te remercie de me l’avoir fait connaître. Un gros baiser à la plus charmante des propriétaires… »
Tuba mirum spargens sonum («une trompette répandant un son merveilleux», «Dies Irae »). Poème de Pierre Richard mis en musique par Victor Segalen.
Chanson Violette est une œuvre musicale de Victor Segalen sur un poème d’Albert Samain
Lettre reproduite dans la Correspondance générale de Victor Segalen, Tome I (1893-1912) pages 388 et 389, éditions Fayard 2004
Après une brillante scolarité qui se conclue par le prix d’excellence en classe de philosophie au lycée de Brest, Victor Segalen poursuit ses études à l’école de médecine navale de Bordeaux en 1898. Ses souhaits d’embrasser une carrière d’officier dans la marine avortent en raison d’une forte myopie. Il amorce ses premiers essais littéraires lors de vacances en Bretagne. Publie ses premiers articles dans le Mercure de France. Après sa thèse, il part effectuer un stage au centre d’instruction naval de Saint-Mandrier près de Toulon. Soif d’aventures, il demande son affectation en Polynésie. Il quitte le port du Havre le 11 octobre 1902, commence pour lui une vie d’aventurier, minée par la dépression, qui s’achèvera le 21 mai 1919 à Huelgoat en Bretagne. Les échanges épistolaires avec son ami de jeunesse Emile Mignard éclairent sur la véritable nature de cette personnalité complexe. Son ami est musicien, on connait l’importance de la musique dans la vie et l’œuvre du poète aventurier : « petite violoniste de n’avoir profité plus tôt de son talent réel. Pour une fois, j’ai écouté un morceau de violon ». Segalen l’appelle « son frère », il partage avec lui ses amours, ses angoisses, ses premiers signes de dépression, son goût pour l’aventure. C’est grâce à Mignard qu’il rencontre sa future femme, Yvonne Hébert, au mariage de ce dernier. Ils auront une belle amitié durant 10 ans, qui s’arrêtera brutalement en 1905 sans que l’on en sache les véritables raisons.
A noter que les lettres de Segalen de cette époque sont fort rares, la quasi-totalité étant conservée à la Bibliothèque Nationale.